
lorsque l’on m’a dit, début 2023 que Michael allait revenir j’étais motivé pour lui préparer un programme au moins aussi bien. J’ai du me battre un peu et on n’a pas réussi à tout obtenir mais il a pu rester trois semaines et nous avons pu faire un vrai travail dans la continuité. Rennes étant une ville un peu plus étendue qu’Erlangen, j’ai pensé qu’il serait plus intéressant de se centrer sur un seul quartier et Maurepas me semblait parfait pour cela. Quartier en mutation avec l’arrivée de la deuxième ligne de métro, en cours de gentrification peut-être, mais souvent cité comme quartier difficile où réside la violence et le crime. Quand Michael est arrivé j’ai essayé de l’accueillir chaleureusement et dès le premier jour nous sommes allés visiter Maurepas, en commençant par la station Gayeulles où l’on arrive dans un environnement tout neuf, la rue d’Erlangen puis nous sommes allés au Gros Chêne, là où un double meurtre par fusillade est survenue quelques temps plus tôt, où l’épicerie Kaboul Market côtoie le Kebab Afghan Food.

Pendant douze jours, nous avons passé la plupart de notre temps là. Nous avons dessiné bien sur, mais j’avais aussi organisé quelques rencontres avec les acteurs socio culturels du quartier et les usagers de leurs équipements. Dans l’ordre, nous avons travaillé avec la direction de quartier, le centre socio-culturel des longs près, la cohue, le Pôle Associatif Marbaudais et nous avons aussi visité l’antenne du cercle Paul Bert, la maison du projet urbain, un local associatif d’expression et expérimentation artistique tenu par des jeunes du quartier et l’exposition « trois petites tours », restitution d’un travail mené par trois artistes plasticiennes sur trois ans dans le quartier. Dans tous les cas nous avons bien évidement commencé par rencontrer les responsables de ces équipements et nous sommes « incrustés » lors des ateliers arts plastiques organisés habituellement. Ce ne sont pas des cours, mais des moments où se retrouvent des habitants du quartier qui ont cette passion en commun. L’idée était de montrer les dessins du quartier déjà réalisés et aussi de les emmener dessiner avec nous dehors. Cela a très bien fonctionné, avec des personnes qui étaient heureuses de nous montrer des coins sympas du quartier, de nous en raconter un peu les histoires, et qui sont revenues plusieurs fois. Nous avons eu aussi de bons échanges avec les autres usagers du lieu, notamment à la cohue. Nous avons été invités à manger lors de repas participatifs où chacun amène quelque chose et je pense que Michael a pu percevoir un autre aspect de ces quartiers que l’image donnée par les médias des banlieues françaises à l’étranger : la solidarité, les efforts consentis par la ville, beaucoup de bienveillance et des gens qui sourient, qui créent, qui chantent, qui viennent renouveler les fleurs là où a eu lieu la fusillade. Au même moment, les médias allemands titraient « La France brûle ! » avec des images d’émeutes suite à la bavure contre Nahel.

Pour l’exposition, afin d’éviter l’écueil des cadres en plexi rayé, nous avons construit des grands panneaux à partir de carton récupéré dans la rue sur lesquels nous avons assemblé des copies de nos dessins accompagnés de notes, documents, photos. Ces 4 panneaux de carton composaient l’essentiel de l’exposition et sur les autres murs, Michael avait amené des copies des planches des 2 bandes dessinées qu’il a produite à la suite des 2 premières rencontres en mêlant quelques uns de mes dessins aux siens et en ajoutant dans la première quelques éléments narratifs. Un dernier mur était consacré à quelques éléments extérieurs pour montrer ce que nous faisons d’autre, l’un comme l’autre. Nous avons aussi fait des affiches et des flyers, ce qui nous a pris une bonne journée sur l’ordinateur et nous avons eu une cinquantaine de visiteurs lors du vernissage dont une dizaine d’habitants du quartier. Les panneaux de carton ont ensuite été confiés à la direction de quartier Nord Est pour être exposée ultérieurement dans les différents équipements socio culturels du quartier.

Pour revenir au thème : regarder le monde avec tendresse. Ce n’est certes pas toujours évident et notre bonne volonté s’épuise facilement lorsqu’elle se heurte à l’indifférence voire à la méchanceté délibérée. Ces quartiers ont une mauvaise image et ainsi tous les gens qui y vivent, du fait de quelques événements isolés, mais nous avons pu constater qu’il est tout a fait possible d’y passer du temps sans avoir le moindre problème. nous sommes allés dans les lieux même où des événements violents ont eu lieu, nous avons pu y dessiner paisiblement : sans le faire exprès, nous sommes allés dessiner l’endroit de la fusillade à la date anniversaire et avons pu assister à une sorte de cérémonie organisée par les jeunes du quartier pour venir changer les fleurs à la mémoire des victimes. L’un d’eux est venu nous voir, pacifiquement, a regardé nos dessins, cherché à comprendre ce que nous faisions, il n’y a eu aucune animosité. Peut-être la réaction eut-elle été différente si nous avions voulu filmer cette scène, le regard de la caméra étant peut-être plus « obscène », permettant l’identification des personnes. D’une manière générale, nous avons souvent suscité l’intérêt des passants, heureux de voir que nous cherchions à trouver quelque chose de beau dans leur quartier, qu’il était possible de faire une belle image de leur quartier. Peut-être cela répondait-il à une attente non formalisée de reconnaissance alors que le sentiment d’abandon et d’exclusion domine habituellement.

Autour du point de deal identifié du quartier, peut-être n’avons-nous pas eu trop de problèmes car nous n’étions pas à la recherche du point de deal et n’avons pas essayé d’identifier et marquer un ou des dealers. nous avons considéré les personnes qui étaient là en train de discuter de façon plus ou moins conviviale comme ayant tout simplement envie d’échapper à l’enfermement dans un espace d’habitation relativement exigu. Nous avons pu, grâce à l’exposition « les trois petites tours » visiter des espaces d’habitation « reconstitués » dans une des tours de l’allée de Brno et constater leur exiguïté, surtout s’ils sont occupés par des familles. Cela explique sans doute en grande partie la nécessité pour les adolescents de passer une grande partie du temps dehors, à trainer en bas des tours avec les copains, ils ne sont pas forcément là « pour dealer ». Si on les regarde comme des criminels a priori, on les agresse du regard, et on les incite à se comporter en criminels ; Si on les regarde avec bienveillance comme des enfants qui cherchent un peu les limites, avec l’intention de les aider à se construire on a peut être plus de chance d’avoir un échange intéressant. Nous avons pu constater surtout à la cohue, association installée sur la dalle du gros chêne, une volonté de laisser la porte ouverte aux jeunes qui « trainent là », en leur permettant de venir charger leur portable ou leur gourde, sans jugement ni question.

D’un point de vue plus strictement artistique, nous avons produit une trentaine de dessins chacun, l’exposition a été présentée dans les différents lieux associatifs et culturels su quartier dont l’école des gantelles, le centre socio-cuturel des longs près, la maison du projet. Michael a aussi rassemblé nos dessins et composé une bande dessinée : « Maurepas en transition ». Il semble que nos dessins aient suscité un grand intérêt de la part des habitants du quartier.
















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